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Éric Gagné (Photo: Matt Sayles/AP) |
Lors du lancement de son livre à Québec mardi,
Éric Gagné, est passé aux aveux concernant sa prise de produits dopants. Chose
qu’il avait fait à mots couverts jusque là après que son nom soit sorti dans le
Rapport Mitchell. Il a dit regretter, et il semblait sincère. C’est dans son
livre qu’il explique ses motivations et la façon dont ça s’est vraiment passé.
Ça serait trop simple de pointer Gagné et
d’autres joueurs comme des coupables. Après tout, si vous êtes sain d’esprit,
vous n’oseriez pas condamner une femme pour son habillement après s’être fait
agresser, ni un homme d’avoir ouvert son portefeuilles au dépanneur pour
ensuite être battu et volé. Pour comprendre l’ampleur du fléau, il faut prendre
le temps de tout analyser et d’aller en profondeur.
Proie aux vautours
Le baseball a changé, trop changé. Six niveaux
affiliés à traverser, et vous n’êtes pas encore garanti de votre poste. Toujours 162
matchs, un long camp d’entraînement de 6 semaines, de possibles séries, et
maintenant, une Classique Mondiale aux 4 ans pour ceux qui le désirent.
On en demande encore plus que jamais aux corps
déjà très éprouvés des joueurs. Maintenant, on embauche des spécialistes de
toutes sortes. Sans compter ceux qui rôdent comme des vautours pour proposer
aux joueurs « LA » formule miracle qui les rendra meilleurs. Ces
spécialistes de la honte, sont possiblement les plus grands coupables. Les
agents et leur agence de « management » qui proposent des solutions
pour arriver à un salaire faramineux. Ils offrent des services multiples. Ces
agences ont poussé comme des champignons dans les dernières années. Négocier le
salaire des joueurs, n’est plus suffisant, ni même gérer leurs avoirs, il faut
aussi les rendre plus productifs et rentables pour l’agence. Ce qui comprend
les rendre meilleurs. Les vautours ont tout intérêt à ce que leurs clients
gagnent beaucoup d’argent puisqu’ils en tirent un pourcentage. Avec ces agences,
sont arrivés des inventeurs de plans d’entrainement et de conditionnement
physique qui vont jusqu’à proposer aux joueurs de se dépasser en suant à
grosses gouttes hors saison, voir même durant celle-ci. Les joueurs qui jadis
profitaient du repos que leur apportait la saison morte, infligent maintenant à
leur corps des stresses douze mois par année. Tout ça pour supposément être
prêt pour la campagne suivante; Pour être plus rapide, plus agile, plus
puissant, être meilleur et en meilleur condition. Les joueurs ont de l’argent,
les agents et leurs agences, le savent trop bien. Ils ont des salles de
conditionnements avec des entraineurs spécialisés et des thérapeutes de toutes
sortes à offrir en service. Des services qui se paient bien sûr.
Des chiffres qui
parlent
Je vous propose un petit exercice pour bien
saisir l’écart qui existe dans la durabilité des joueurs d’autrefois avec ceux
d’aujourd’hui. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. 134.1 manches, fiche de 10-11,
moyenne de points mérités de 2.01. Ces chiffres, vous disent sans doute qu’il
s’agit d’un partant qui a eu un certain succès. Possiblement mal supporté par
sa défensive et son attaque. Un partant arrivé quelque part durant la saison n’est-ce pas? Et
bien non, ajoutez 27 sauvetages et vous avez la fiche de Rich «Goose» Gossage
en 1978 avec les Yankees de New York. Parce que le «Goose», comme les autres
releveurs numéro 1 de l’époque, n’étaient pas des «closers» mais
des stoppeurs. Ils arrivaient pour plus d’une manche pour se rendre
jusqu’à la fin. Ils pouvaient lancer 5, voir 6 manches, en deux jours avant de
prendre un ou deux jours de congé. Bruce Sutter frôlait les 100 manches chaque
saison avec un sommet à 122 en 1984 à l’âge de 31 ans. Aujourd’hui, les
releveurs ne lancent plus 100 manches. Ceux qui s’en approchent le plus, sont
les lanceurs de longue relève dans une mauvaise équipe mal nanti en lanceurs
partants. Ou encore, ils le font avec presque autant de sortis qu’ils lancent
de manches. Par exemple Gossage a lancé ses 134.1 manches en 63 sortis. En
comparaison des 71 sortis pour 81.0 manches de Kelvin Herrera des Royals de
Kansas City cette saison.
Il n y a pas que les releveurs qui lancent
moins. Les partants de 300 manches sont disparus. Ceux de 250 manches sont
rares, et ceux de plus de 200 manches ne sont plus qu’une 30aine. Certains
parlent maintenant de rotation à 6 lanceurs après celle de 5. Dans les années
’70, et ’80, les équipes fonctionnaient à 4 partants, et un cinquième à
l’occasion. Ce dernier se chargeait aussi de la longue relève.
Les joueurs de position bénéficiaient aussi de
moins de jour de congé. On pouvait facilement nommer le rôle des frappeurs de
chaque équipe. Dans l’ordre en plus. Maintenant, on joue à la chaise musicale,
même si l’essentiel du rôle offensif change peu.
Les produits dopants n’ont fait que fragiliser
davantage les joueurs qui n’arrivaient déjà plus à tenir la route par
surentrainement. Après 162 matchs, le corps a besoin de récupérer. Il faudra
bien un jour que les joueurs s’en rendent compte. Il faudrait aussi qu’ils
s’éloignent de ces vautours qui veulent tant leur bien…et qui l’obtiennent
jusqu’au plus précieux; leur santé. Les joueurs sentiraient peut-être moins le besoin de tricher pour passer au travers. Ce qui est le cas aujourd'hui avec la nouvelle politique du baseball majeur. Je suis cinglants envers ceux qui sont pris aujourd'hui, et les autres ont eu, et ont encore mon absolution.
« It ain't over... »
Éric Gagné, n’est certes pas à prendre en
pitié. Ni lui, ni les autres. Personne ne l’a injecté de force. Il ne quémande
pas cette pitié d’ailleurs. Il faut cependant aussi revenir dans le contexte d’une pratique
courante, et accepté par le baseball majeur qui n’avait pas de règles à cet
effet. Ça n’excuse en rien le geste, mais la pression est forte, et les choses vont plus rapidement que jamais. Avec autant de "conseillers" autour des joueurs, il était facile de se laisser tenter à poser un geste non-illégale selon les règles de la MLB.
Il faut garder à l'esprit que son incroyable performance n’a pas été
influencée par la prise de HGH. Ce produit ne lui a permis que de revenir plus
vite au jeu et de passer au travers des longues saisons. Gagné, ni aucun autre
lanceur ne pousse la balle à des vitesses surréalistes malgré les produits
dopants. Personne ne lance à 110
MPH. Au mieux, Gagné lançait à 97 MPH. Ce qui est
excellent, mais pas exceptionnel. Son changement de vitesse dévastateur était
bien plus responsable de ses succès. Ce qui gardait les frappeurs en déséquilibre
et sa rapide plus efficace. Ça non plus, ce n’est pas exceptionnel. La « cutter »
de Mariano Rivera est aussi son arme secrète.
Gagné restera dans le baseball. Il a beaucoup à
donner aux jeunes et à redonner à ce sport. Cette fois, Gagné pourra savourer
ces instants précieux comme gestionnaire d’une équipe indépendante à
Trois-Rivières dans la ligue Can-Am. Il n’exclut pas non plus de lancer pour
ses Aigles.
Pour l’homme tout comme pour l’homme de baseball, ce n’est
pas ce qu’il a fait dans les 35 premières années de sa vie qui est important
aujourd’hui, mais ce qu’il fera des 35 prochaines.
Non, pour Gagné ce n’est pas terminé. « It ain't over
till it's not…Game Over. »